samedi 15 décembre 2012


Dernier polar avant la fin du monde…

Publié le 12 décembre 2012

Comme si vous y étiez! En fait, vous y êtes… à quelques jours près. À peine le temps requis pour lire ce polar, 12:21 de Dustin Thomason. Entre opportunisme et récupération.

 
 

Il faudrait vraiment être déconnecté pour n’avoir pas entendu les prophéties sur la fin du calendrier maya. Les scénarios catastrophes abondent; un astéroïde, une planète X frappant la Terre, un désalignement, un trou noir, bref n’importe quoi et rien venant perturber notre quiétude à coup d’explosions, de tsunamis, de séismes, etc. La dernière date apocalyptique que nous avions était le changement de millénaire… Les « exégètes » de Nostradamus peinent à prédire le passé… Mais les Mayas viennent à la rescousse avec une précision, une date, une vraie : 21 décembre 2012.

 

À quelques jours de la date annoncée pour la fin du monde, Chel Manu, pourfendeuse des théories sulfureuses sur le sujet, est conservatrice au musée Getty. Guatémaltèque d’origine maya, elle reçoit un manuscrit dérobé dans une tombe maya. Le voleur, Gutierrez et son complice, Volcy, tombent brusquement malades. Le docteur Gabriel Stanton soupçonne une maladie à Prion, transmissible par l’air, sans vaccin ni remède. Chel pressent que la solution se trouve sur les lieux où le codex a été volé, mais elle doit traduire les glyphes. Rapidement, l’infection se répand. L‘état d’urgence est déclaré et Los Angeles mis en quarantaine. La mort gagne du terrain et la population se révolte. Stanton et Manu vont parvenir au Guatemala mais trouveront-ils la tombe, la cause et le remède à temps?

 

Dustin Thomason, dont c’est le second polar après La Règle de quatre (2005), nous entraîne dans une course contre la montre. Il s’agit d’un roman d’anticipation qui flirte avec la dystopie, une vision plutôt noire de l’avenir.

 

La fatidique date du 21 décembre étant toute proche, on peut considérer 12 :21 comme le dernier de sa lignée sur le sujet.

 

Dustin Thomason a voulu surfer sur la fin du monde trop annoncée. En s'appuyant sur des faits connus plus ou moins bidon pour étayer son suspense, l’auteur peine à maintenir une crédibilité nécessaire à l’intrigue. Il suffit au lecteur de ne pas croire à ces histoires, et la vraisemblance du récit est perdue. Pourtant, si on retirait du récit la fin du monde maya, le polar deviendrait passionnant.

 

Dommage car il s’agit d’une bonne histoire, bien élaborée, mais en voulant l’associer au 21 décembre, Thomason a fait fausse route. Le roman escamote le véritable enjeu : trouver un vaccin et freiner les pertes de vies. À cause de l’omniprésence des Mayas et de leur calendrier, le thriller ne tient pas. Trop de bonnes idées sont jetées dans le récit et peu approfondies, amenant le suspense dans une impasse. Et parce que le polar est lié à la prophétie, il ne survivra pas à l’éphéméride.

 

ATTENTION : Date de péremption incluse.

 

Note : C'est le dernier texte avant ma disparition le 20 décembre 23h59.59999...

Après, si j'ai survécu, vous aurez droit à un top 2012 juste à temps pour vos dernières emplettes.

 

 

Dustin Thomason, 12:21, Éditions Calmann-Levy, novembre 2012. Traduction Pascal Loubet (12:21, 2012). 383 pages.

lundi 26 novembre 2012


Polars : Du Québec à l’Australie

  Publié le 25 novembre 2012

Avec De Pierres et de sang, André Jacques livre un polar exceptionnel. Un vol de diamants tourne à la catastrophe aux confins du Canada. Les services secrets français se jettent dans la mêlée avec ceux de la Russie. La GRC tente de démêler le crime. De Yellowknife à Montréal, de Paris à Anvers, l’antiquaire et ex-major de l’armée canadienne Alexandre Jobin suit la piste parsemée de cadavres.

 

 
 
L’ex-soldate Julie Dorval travaille à la sécurité pour une mine de diamants à Yellowknife. Complice des manœuvres frauduleuses des directeurs de l’entreprise, dont le sanguinaire Russe Serguei Belochnikov, elle s’allie à l’Inuit Peter Ugiuk pour voler des pierres. Il veut rendre à sa communauté un énorme diamant dérobé alors qu’elle est plutôt motivée par l’appât du gain. Le braquage tourne mal. Blessée, Julie parvient à rejoindre Montréal où elle reçoit l’aide d’Alexandre Jobin qui va la suivre comme son ombre. Après quelques sanglants épisodes, elle se rend à Anvers pour refiler en contrebande les précieuses pierres. Julie est poursuivie par les Russes, les Français, La GRC, le SPVM, les patrons de la mine et son employeur. Le récit devient alors une hécatombe où les manigances des personnages font place à un sauve-qui-peut lorsque l’agent russe exécute la technique de la terre brûlée (fuir sans rien laisser en vie derrière).

 

 

Le quatrième polar d’André Jacques est un parfait thriller d’aventure. Lorsque Julie dérobe les pierres, elle est loin de se douter dans quel engrenage elle s’embarque. Elle parvient à démonter le système de collusion qui permet à une petite minière productrice de diamants de faire le blanchiment des diamants de sang. Le rythme est effréné et le suspense maintenu de bout en bout avec un savoir-faire total. L’auteur affiche une telle maîtrise de son sujet qu’il parvient sans peine à déjouer les prévisions des plus habiles lecteurs. Les retournements de situations sont adroits et imaginatifs.

 

Récit tout en action, De Pierres et de sang étonne et divertit. Véritable « page-turner » le roman mérite l’attention immédiate de tout amateur de littérature policière. Il s’agit de l’un des meilleurs polars à jamais avoir été écrits au Québec.

 

 

En Australie aussi il s’écrit du polar. Darren Williams, Conséquences

 

 
 
Petit village tranquille, Angel Rock est secoué par deux drames. Les frères Ferry se perdent dans le bush australien qui cerne le village. Tom, l’ainé, en reviendra, seul, quelques jours plus tard, incapable de se rappeler ce qui a bien pu arriver à son frère.  Au même moment, Darcy est retrouvée morte à Sidney, un suicide apparent. L’agent Gibson mène l’enquête qui l’amène au domicile de la jeune fille, à Angel Rock. Y a-t-il un lien entre ces deux événements?

 

Conséquences interroge cette vie recluse de petits villages, les haines entre les vieilles familles, les relations tortueuses, les dettes et les jalousies qui déterminent les liens entre les villageois de génération en génération. Il y a quelque chose d’immensément oppressant dans ce polar à tout le moins exotique.

 

L’intrigue se déploie lentement ce qui contribue à l’atmosphère générale du polar qui est étouffante, torride et angoissante. Comme s’il se déroulait dans une étuveuse. Les personnages sont campés avec une virtuosité telle qu’on ressent l’impression de les avoir déjà rencontrés. Gibson, inspecteur tenace et fragile. Pop, le policier local, un grand sage qui veille sur son village et ses habitants. Les villageois qui contribuent à l’ambiance glauque, inquiétante; parfois malsaine souvent fraternelle. Les descriptions des paysages arides de ce bush, ces eucalyptus, ces oiseaux indigènes font de Conséquences une lecture dépaysante fort agréable.

 

Une petite lacune dans la trame narrative; L’utilisation du coup de théâtre. Un personnage oublié, seulement entrevu, surgit en fin d’énigme et vient dénouer toute l’intrigue. La finale du roman devient prévisible et décevante. Le talent de l’auteur est pourtant indéniable et lui, comme nous, méritions mieux.

 

 

André Jacques, De Pierres et de sang, Éditions Druide / Reliefs, septembre 2012. 463 pages.

 

Darren Williams, Conséquences, Éditions Sonatine, octobre 2012. Traduction Fabrice Pointeau (Angel Rock, 2002). 392 pages.

dimanche 4 novembre 2012


Polars  à l’américaine

 
Lyndsay Faye et Elmore Leonard : la jeune romancière et le vieux routier.

 
http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-marois/polars-americains_b_2063697.html?utm_hp_ref=divertissement

publié le 2 Novembre 2012

Dans une forêt en périphérie de New York, un charnier est découvert. Dix-neuf enfants sont trouvés dans un état de putréfaction avancé. Les plus vieux corps y sont depuis 5 ans. On découvre qu’il s’agit de jeunes irlandais de moins de treize ans, orphelins et prostitués. Tous les cadavres sont profanés et des organes ont été prélevés.

 


Le premier roman de l’Américaine Lyndsay Faye, Le Dieu de New York, raconte ce qui de prime abord apparaît comme un (autre) polar sur un tueur en série mais se révèle par la suite toute autre chose. Un véritable délire religieux mêlé à un racisme quotidien.

 

Nous sommes à New York, la mégapole en devenir avec son demi-million de résidants. Il fait chaud, car c’est l’été. Bientôt, cependant, il fera encore plus chaud. L’incendie destructeur de 1845 va ravager les vieux bâtiments en bois. Tim Wilde travaille dans un bar à huîtres lorsque le feu se déclare. Il abandonne tout dans l’espoir de gagner son domicile pour sauver des flammes sa fortune économisée dans le but d’épouser Mercy Underhill. Mais le sort va s’acharner sur lui. Pris au cœur de l’incendie, il est blessé et défiguré. Son frère Val, pompier volontaire, le sauve.

 

Tim n’a plus de logis, est sans emploi et ruiné. Bien malgré lui, il accepte alors de faire partie des forces de l’ordre nouvellement créées. Lors d’une patrouille, il trouve une fillette en fuite, couverte de sang. C’est le début d’une aventure horrifiante. Il découvre une fosse commune dans laquelle repose des enfants et, remontant la piste, dévoile toute une facette horrifiante de la société new-yorkaise, le racisme envers les nouveaux arrivants, principalement des Irlandais de confession catholique. Chaque chapitre est d’ailleurs précédé d’une citation d’époque attisant la haine des papistes irlandais.

 
Polar d’envergure parce qu’il ne se limite pas à construire une scène de crime puis à faire évoluer les personnages au gré de l’enquête. Lyndsay Faye utilise avec bonheur des moments historiques de la ville de New York. L’incendie, mais surtout les cargaisons d’immigrants Irlandais qui débarquent à pleins quais; malades, pauvres, affamés. Ces « voleurs de jobs » chassés de leur pays par la maladie de la patate qui apportent leur foi catholique (papiste) au pays du protestantisme. Les natifs déclenchent presque une guerre civile contre les nouveaux arrivants et lorsqu’ils apprennent par les journaux la présence d’un charnier, qu’on découvre le cadavre d’un autre garçonnet dans une poubelle, puis l’assassinat d’un enfant dans une église papiste, la violence s’exacerbe davantage. Un fou veut tuer tous les Irlandais avant qu’ils ne contaminent la ville.

 
Pour les amants de New York d’abord. Pour les amateurs de bons polars, ensuite. Le Dieu de New York est un régal.

 

 

La Simplicité volontaire selon Elmore Leonard

 

Auteur tout aussi légendaire que prolifique, Elmore Leonard poursuit, avec le recueil Connivence avec l’ennemi, une œuvre exemplaire qui explore et témoigne des turpitudes de l’Américain moyen.

 

D’abord publié dans le New York Times sous forme de feuilleton, le polar est introduit avec deux nouvelles racontant les débuts du policier Carl Webster. Troisième volet de la série de romans consacrés au marshal après Le Kid de l’Oklahoma et Hitler’s Day. Connivence avec l’ennemi semble, avant tout, une anecdote allongée.

 

Oklahoma accueille un camp de prisonniers de guerre Allemands. Nous sommes en 1944. Le prisonnier Jürgen Shrenk soudoie un gardien et s’échappe régulièrement avant de revenir au camp. Carl Webster le soupçonne de retrouver Shemane, une beauté locale aux mœurs plutôt libres. Or, la loi interdit ce type de rapport avec l’ennemi. Elmore Leonard, à sa manière habituelle, va ajouter au récit quelques éléments perturbateurs tels un gangster juif, l’épouse de Webster, Louly, instructrice chez les marines, quelques truands patauds, des femmes fortes et fatales, Gary, le jeune marshal, qui voudrait avoir la gâchette aussi facile que Webster… Le tout servi avec des dialogues savoureux…

 

Connivence avec l’ennemi n’est certes pas un titre clef pour connaître et apprécier l’œuvre de ce grand auteur. Vite lu, il  ne fera pas partie des romans inoubliables.

 

Elmore Leonard est le Woody Allen du polar noir / western, explorant sans cesse les mêmes pistes, s’enfonçant toujours davantage dans la psyché humaine, parvenant parfois à saisir l’immatériel… et c’est peut-être cela qui donne au texte ce petit côté aérien, léger et grave à la fois.

 

On dirait presque qu’il écrit en apesanteur tant le style est éthéré. Des faits, uniquement des faits. Un savant mélange d’action et de dialogues sans état d’âme, sans description. Pourquoi complexifier quand tout peut être si simple? Mais ne vous y trompez pas, c’est du grand art. Elmore Leonard éblouit ses lecteurs avec cette insoutenable légèreté. Pour arriver à un tel équilibre, parvenir à passionner son auditoire avec si peu de moyens demande des qualités rares.

 

Lyndsay Faye, Le Dieu de New York, Éditions Fleuve Noir, 14 septembre 2012. Traduction Carine Chichereau (The Gods of Gotham, 2012). 503 pages.

 Elmore Leonard, Connivence avec l’ennemi, Éditions Rivages / Thriller, août 2012. Traduction Johanne Le Roy (Comfort to the enemy, 2009). 235 pages.

samedi 22 septembre 2012


Polar apocalyptique: Flashback! de Dan Simmons
par Daniel Marois

posté le 30 septembre 2012

Flashback, la vision cauchemardesque du grand Dan Simmons. Les É.-U. sont en pleine décadence. La fin du monde est proche. Les américains se droguent au Flashback. Ils dérivent vers l’apocalypse.



Nous sommes à Denver, Colorado, en 2035. Les États-Unis d’Amérique ont subi le même sort que les grands empires du passé. Non seulement ont-ils perdu toute influence sur le reste du monde, mais une partie de leur territoire a été conquis par la reconquista du Nuevo Mexique. Une guerre civile meurtrière fait rage en Californie. Le Texas a déclaré son indépendance et est devenu une République. Les autres États croupissent sous l’influence du Japon, le grand gagnant de l’effondrement américain et asiatique. Quant au reste du monde — l’Europe, le Canada —, ils sont contrôlés par la seconde puissance en titre, le Califat Global, né du regroupement des États arabes unis.


Ex-inspecteur de la police de Denver, Nick Bottom est engagé par le conseiller fédéral Hiroshi Nakamura afin de résoudre une fois pour toutes l’enquête au sujet de l’assassinat de Keigo Nakamura, son seul héritier. Il y a six ans, Bottom avait mené les investigations. Il est le seul à pouvoir réinterroger tous les témoins encore vivants.  Comme la plupart des Américains, l’ex-inspecteur est devenu accro au flashback, une drogue qui permet de revivre en réel des événements choisis de son passé. Il revit donc sans cesse les moments heureux avec Dara, son épouse assassinée à la même période où le fils Nakamura mourait. Véritable junkie, Bottom accepte de reprendre l’enquête seulement pour pouvoir se payer sa dose et retourner auprès de sa femme. Peu dupe, le conseiller le fait accompagner par son bras droit, le colonel Sato.


Mais bientôt, Nick Bottom se trouvera devant un inextricable dilemme. S’il découvre le meurtrier, Nakamura le tuera. S’il ne résout pas le mystère, Nakamura le fera tuer.


Le roman d’anticipation de Dan Simmons recèle de nombreuses qualités littéraires. Le portrait global des puissances est une vision intéressante et probable. La guerre civile en Californie à laquelle est confronté le personnage principal est dépeinte avec habileté. Dan Simmons sait insuffler la vie à ses nombreux personnages et maintient le rythme avec rigueur. Mais ces qualités ne suffisent pas à retenir un récit qui sombre sous la perspective politique. La subtilité du propos ne fait certes pas partie des qualités du roman.


Sous-jacent au récit se cache une haine fanatique du monde arabe et une critique peu reluisante des social-démocraties. Le Canada, anglais et français, est constitué d’individus veules. Fiers de leur multiculturalisme. Ils sont avalés par le Califat Global. L’Europe en grave crise économique se laisse acheter à vil prix. La mise en abyme des thèmes qui font de Flashback un véritable pamphlet républicain ne s’arrête pas là. Les É.-U., affaiblis par les attaques du 11 septembre 2001 et la crise économique de 2008, ont mis en berne leur rôle de shérif mondial, abandonné l’Europe et ne sont pas intervenus pour empêcher les États arabes de lancer une bombe nucléaire détruisant Israël. Replier sur eux-mêmes, les Américains ont tenté de résoudre leurs problèmes en multipliant les politiques d’apaisement envers les musulmans et en instaurant des programmes sociaux distribuant la richesse vers les plus démunis.


Cette vision éminemment apocalyptique aura une fin heureuse lorsque le Shogun japonais s’alliera à la République du Texas pour mener une guerre nucléaire contre le Califat Global.


Flashback s’est peut-être un peu trop nourri aux peurs sans fondement des enjeux mondiaux. Les manchettes, la radio poubelle et les débats d’opinions ne sont pas des sources d’information crédibles. Le dernier né de l’imaginaire de Dan Simmons est une dystopie caricaturale. C’est fort dommage et je le regrette. Le grand roman d’anticipation attendu est torpillé par une grimace idéologique.



Dan Simmons, Flashback, Éditions Robert Laffont, ailleurs & demain, juin 2012. traduction Patrick Dusoulier (Flashback, 2011). 516 pages.

mercredi 29 août 2012


Malphas 2 de Patrick Senécal: damné cégep!
par Daniel Marois
 
 
Posté le 5 septembre 2012
 

Patrick Senécal revient pile pour la rentrée avec le second tome des aventures de Julien Sarkozy. Avec Malphas 2. Torture,luxure et lecture, c’est le retour du plus ludique des auteurs québécois. Un roman délirant, ensorcelant.

 
 
 

Dans le premier épisode, le nouveau professeur de littérature Julien Sarkozy était confronté à des casiers qui broyaient les corps des étudiants. Il n’est pas indispensable, mais préférable, d’avoir lu le premier tome pour apprécier le second. Cette fois, une semaine après les casiers carnassiers, le cégep Malphas ouvre à nouveau ses portes. Les événements antérieurs ne sont toujours pas résolus, le suspect est encore en fuite, que de nouveaux drames pointent déjà.

 

Le professeur Michel Condé lance un club de lecture. Zola, Vian, Houellebecq, Éco, Nabokov, Thui, Gilbert, Soucy et Sade sont au programme. Inscrit au club, le héros du premier tome, Julien Sarkozy opte pour Romain Gary. Les rencontres se tiendront dans une classe nouvellement rénovée suite à un incendie. Sarkozy, qui essaie toujours de comprendre ce qui est arrivé avec les casiers, est à nouveau face à des énigmes. Il parvient à éclaircir certains éléments, mais d’autres s’ajoutent et viennent obscurcir davantage le mystère. Les participants du club commencent à sérieusement dérailler. Le local semble hanté et les lectures à haute voix deviennent des pièges mortels.

 

Je n’en dirai pas plus, vous laissant le privilège de découvrir ce qui se trame dans ce cégep damné!

 

Patrick Senécal met en mots la petite communauté de Saint-Trailouin et son improbable cégep Malphas, du nom d’un obscur démon. Complètement lâché lousse, il explore cet univers avec un bonheur jouissif, imaginant souvent le pire, décrivant l’odieux enrubanné d’un humour grinçant, ironique, sarcastique, voire sadique. Malphas est une série qui oscille avec allégresse entre les codes des romans de genre. Policier, humour, fantastique et horreur sont ainsi enchevêtrés, et l'auteur navigue de l'un à l’autre, véritable écrivain-funambule, créant un univers duquel le lecteur ne décroche pas, admettant l’improbable, l’invraisemblable jusqu’à l’impossible.

 

Senécal distribue généreusement son imaginaire débridé, l’ennui étant certainement le dernier qualificatif qu’on peut attribuer à la série. Je ne suis pas près d’oublier la scène d’anthologie ou une pauvre bougresse, après avoir récité un extrait de Le nom de la rose, grignote avidement un livre en verre.

 

Malphas est prodigieusement divertissant, intelligent et écrit avec une efficacité troublante. C’est possible au Québec. Roman après roman, Patrick Senécal le prouve.

 

Patrick Senécal, Malphas 2. Torture, luxure et lecture, Éditions Alire, 23 août 2012. 498 pages.

lundi 13 août 2012

Polar nordique: Femmes sur la plage de Tove Alsterdal
par Daniel Marois

http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-marois/polar-nordique-femmes-plage_b_1768497.html
posté le 12 août 2012


Journaliste, dramaturge et scénariste, Tove Alsterdal s’est lancée dans le polar en 2009. Le résultat :  Femmes sur la plage, une enquête à saveur européenne qui nous fait parcourir la France, le Portugal, l’Espagne et la République Tchèque, le tout à la manière nordique, car l’auteure est Suédoise.



Journaliste pigiste, le New Yorkais Patrick Cornwall croit bien avoir déniché un sujet qui lui vaudra enfin un prix Pulitzer. L’esclavagisme moderne. Cependant, peu de temps après son arrivée à Paris, il disparaît mystérieusement. Inquiète de ce silence inhabituel, son épouse Ally Cornwall se rend en France pour le retrouver. Elle descend au même hôtel et suit la piste. Indices après indices, Ally parvient à faire trembler la redoutable organisation qui exploite les esclaves. Patrick Cornwall s’était rendu au Portugal là où sa piste arrête. Ally découvre enfin ce qui est arrivé à son amoureux et qu’importe les menaces et l’agression dont elle sera victime, sa vengeance sera terrible.

La traite des humains est un sujet délicat et complexe. Ces malheureux africains qui quittent leurs pays en quête d’une vie meilleure et qui tombent dans les filets de l’organisation criminelle sont achetés, vendus, tués sans le moindre scrupule. Véritable foire aux bestiaux, l’humain est asservi par des puissances occultes, dont les dirigeants sont vus comme des leaders, des décideurs. Sujet complexe donc, condensé dans un petit roman avec une finesse époustouflante! Rien à couper, rien à ajouter. L’équilibre est parfait.

Le système de la traite des humains et le portrait global, mais aussi cette froide vengeance ou la femme dépossédée, incapable d’obtenir une condamnation, applique la loi et se fait justice.

Le premier polar de Tove Alsterdal est une totale réussite et la traduction de son second est attendue avec impatience. La Suède continue d’étonner. Une véritable petite mine pour les amateurs du genre!

Tove Alsterdal, Femmes sur la plage, éditions Actes Sud actes noirs. Juillet 2012. 333 pages.

jeudi 5 juillet 2012


Mapuche de Caryl Férey 
par Daniel Marois     

http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-marois/mapuche_b_1649018.html
Posté le 5 juillet 2012
Caryl Férey, possiblement le plus singulier des auteurs français contemporains, se distingue à nouveau avec son dernier titre, Mapuche.



Après avoir exploré la Nouvelle-Zélande dans les très remarqués Haka puis Utu, Caryl Férey a livré le terrible et combien efficace Zulu, Afrique du Sud . Avec Mapuche, son regard change de continent pour se poser en Amérique du Sud, dans le déchirant présent de l’Argentine.

Jana est une jeune descendante du peuple Mapuche, largement décimé par les conquérants Espagnols. L’un de ses jeunes amis disparait subitement. Elle s’adresse à l’enquêteur privé Rubén Calderon, un Argentin survivant des camps de tortures instaurés sous les régimes dictatoriaux (1973-1983). Ruben est spécialisé dans la recherche des enfants disparus sous les régimes totalitaires. Des enfants ravis à leurs parents et donnés aux amis stériles du pouvoir. Rapidement, il se rend compte qu’il y a un lien entre le disparu et d’autres personnes enlevées et retrouvées mortes.

Jana et Rubén sont des écorchés vif, deux survivants, deux désespérés. Ils vont s’allier pour défier les anciens tenants du pouvoir œuvrant en sous-main comme des bombes à retardement. Ces autorités déchues qui pratiquent toujours la torture et les vols de la mort, cette fois pour se protéger des menaces d’emprisonnement contre leurs crimes passés.

Il y a chez Caryl Férey, aussi bien dans l’écriture que dans les personnages, une urgence à dire et à faire, mais aussi un profond désespoir qui habite le récit. Bien que l’enquête révèle l’immoralité absolue des bourreaux et de leurs commanditaires, cette inhumanité donne au récit une échelle qui dépasse l’entendement. Comment a-t-on pu laisser tout cela se produire? Comment des pays civilisés comme la France et les USA ont-ils pu favoriser de telles atrocités (fournissant armes, dollars et expertises en torture)?

Plus qu’un autre roman noir, Mapuche est un document qui parvient à redonner une humanité à ce qui n’en a  pas, n’en a jamais eu. En cela donc, Férey parvient avec un talent indéniable à toucher à l’universel dans ce qu’il peut avoir de plus hideux. Ce n’est jamais facile à lire. L’auteur truffe son récit de passages absolument horrifiants, tel ce vol de la mort où une jeune fille est précipitée vivante dans la mer du haut d’un avion.

Un autre coup de maître par un auteur à découvrir pour tous ceux et celles qui ne le connaissent pas. Caryl Férey marque au fer rouge le troisième millénaire.


Caryl Férey, Mapuche, éditions Gallimard série noire.  4 juin  2012. 450 pages.

dimanche 10 juin 2012

Juste une ombre : le polar de la consécration pour Karine Giebel
Par Daniel Marois

Posté le 9 juin 2012



Juste une ombre de la Française Karine Giebel est un thriller époustouflant, remarquable de maîtrise. La lecture idéale pour lancer en grand la période estivale.

D’abord un mot sur l’auteure. Née en 1971, Karine Giebel en est déjà à son cinquième polar. Couverte de prix avec Les Morsures de l’ombre (son troisième titre), Elle fait paraître en 2012 Juste une ombre qui lui permettra d’atteindre la consécration.
Cloé Beauchamp est directrice générale adjointe dans une importante agence de publicité. C’est une jeune femme ambitieuse, riche, belle, intelligente. C’est aussi un enfant gâté que l’on prend un vif plaisir à détester. Mais sous cette apparence d’arriviste pimbêche se cache un être fragile et sensible. Une entité anonyme lui veut du mal. Encapuchonnée, jamais visible, l’ombre entre chez elle, perturbe son sommeil, la suit, la menace et l’agresse. Mais il n’y a jamais de preuves donc personne ne la croit et tous lui disent de consulter parce qu’elle souffre de paranoïa.
Le commandant de police Gomez est bourru. Un malotru avec ses hommes, sa hiérarchie, et ses clients. Il devient un aidant naturel avec son épouse mourante, révélant un amour infini. Devenu veuf, la vie n’a plus d’intérêt. Un jour, il croise Cloé sortant du commissariat ou pour la énième occasion elle est allée dénoncer le harceleur. Cette fois encore, personne pour souscrire à son histoire. Le commandant lui trouve une ressemblance avec sa défunte. Il est seul à croire que l’ombre est réelle et cache quelqu’un de malfaisant. Gomez découvre rapidement une autre femme, suicidée, victime elle-aussi, d’une ombre dont elle s’était plainte, en vain. L’histoire même de Cloé. Cependant l’ombre est bien trop puissante pour le policier…
Mené tambour battant, Juste une ombre est un polar terrifiant d’efficacité. Un thriller psychologique de haute voltige enrobé dans une fine écriture. Giebel sait maintenir un suspense jusqu’à la dernière ligne et nous sert en final un retournement horrifiant qui saura plaire aux amateurs de série noire.
L’auteure est arrivée à un tel brio qu’elle devrait dorénavant être mentionnée dans la même phrase qu’une Val McDermid. Ce n’est pas moi qui s’en plaindrai!

Karine Giebel, Juste une ombre, éditions Fleuve Noir / thriller.  26 avril 2012.  502 pages.

dimanche 13 mai 2012


Le meilleur et le pire

publié le 16 mai 2012

Le Pouce de l’assassin de Lawrence Block



Ah! Un Lawrence Block. Enfin un rayon de soleil sulfureux dans le paysage du polar américain.

Le célèbre écrivain est né en 1938 à Buffalo. Nommé Grand Maître du roman policier en 1994, il est notamment l’auteur des aventures du privé Matt Scudder (16 romans en français); la série du libraire-cambrioleur Bernie Rhodenbarr (10 romans en français); la série mettant en scène l’agent secret Evan Tanner (6 titres) et celle qui nous occupe aujourd’hui la série du philatéliste-tueur à gages Keller dont il s’agit de la quatrième aventure.

Keller est le tueur à gages principal de l’agence de placement gérée par Dorothea (Dot). Homme au sang-froid remarquable, il exécute les contrats à la lettre (morts naturelles, accidentelles, violentes, tout est bon) et il est capable de tout faire jusqu’au jour où lors d’un contrat il se sent épié. Il change de chambre au motel et le couple qui a pris sa place meurt la nuit même. Le doute s’installe. Il exécute le contrat suivant et se fait voler son imperméable au restaurant, lequel contenait l’arme de son crime. Le pauvre voleur est retrouvé assassiné. Keller n’a plus de doute, quelqu’un cherche à lui nuire. Il s’ouvre à sa patronne qui commence à faire des recherches et découvre alors que son second homme de main est mort. Elle devine qu’un dangereux individu est en train d’abattre la concurrence afin de s’approprier tous les contrats de tueur et faire monter les prix. Assisté de Keller, Dot va tendre à l’assassin un piège mortel dont Keller sera l’instrument.

Lawrence Block nous sert ici un polar mené rondement, proprement. Les multiples morts sont esquissées à grands traits, voire éclipsées, laissant libre cours à l’imagination des lecteurs. Le spectaculaire et le sanglant intéressent  peu l’auteur qui s’attache davantage à mettre l’accent sur les personnages et leurs relations. Dialoguiste de grand talent, Block s’amuse avec un humour grinçant et sarcastique à travers les discussions entre Keller et Dot. Au comble de l’ironie et affichant toute l’étendue de son talent, Lawrence Block marche sur le fil littéraire en exécutant une mise en abyme de l’éthique de travail d’un tueur (oui, oui), ici défendu par Keller. Un roman à la construction exemplaire, sans effort, sans effet de cape. Juste des mots qui finissent par construire un univers. Une lecture qui fait plaisir. Le Monsieur a du métier.

Le Pouce de l’assassin, le doigté de l’écrivain.


Lucifer Code de Charles Brokaw



Un petit avis au départ : je ne voulais pas faire de chronique sur ce roman. Je n’aime pas faire des critiques entièrement négatives. Ici, cependant, je ne trouve rien de positif auquel m’accrocher. Nulle part sur le web, vous ne trouverez de chroniques sur Lucifer Code, de Charles Brokaw, ce qui me pousse à faire paraître celle-ci en guise d’avertissement avant achat, si jamais vous étiez tenté…

Allons-y donc et tant pis pour vos prudes prunelles!

Après le Da Vinci Code, le Atlantis Code (du même Brokaw), le Code Salamandre, voici maintenant le Lucifer Code (à paraître prochainement : le Code Code!).

Premier constat,  le polar est si mal écrit que la traduction ne saurait être en cause. Les descriptions présentent de brusques changements de ton, des niveaux de langages différents, concourant à donner l’impression que le texte a été écrit par plusieurs mains, chacun sa phrase. Les dialogues sont un comble d’inepties et les tentatives d’humour viennent seulement entraver davantage la lecture. Des dialogues aberrants donc, empruntant une forme de politesse exquise mêlée de cynisme cependant que les méchants canardent comme si les armes se rechargeaient seules. Le cynisme et l’ironie mal placés, c’est surtout d’une impardonnable maladresse.

Le contenant est déficient, l’histoire emberlificotée.

La CIA veut s’emparer du professeur Thomas Lourds (oh! qu’il mérite son nom). Les agents attendent qu’il atterrisse à Istanbul, mais, au sortir de l’aéroport, le linguiste est kidnappé par un groupe de terroristes local mené par une Irlandaise. La CIA est court-circuitée. S’ensuit une poursuite infernale à travers la ville. Des coups de feu sont échangés, des collisions, l’explosion d’un hélicoptère, mais rien n’y fait: Les agents assistent impuissants au rapt.

Lourds est amené vers les catacombes de la ville où on va le forcer à déchiffrer un vieux texte biblique. C’est alors qu’un nouveau groupe intervient pour libérer le professeur et l’Irlandaise. De retour à son hôtel, c’est maintenant au tour de la police turc de s’intéresser au professeur. On apprend ensuite que la belle Irlandaise a changé d’allégeance et qu’elle joue les agents doubles pour la CIA. Si seulement nous étions dans un vaudeville, une comédie de situation, un festival du quiproquo…

Et bien sûr, ces détenteurs du secret ultime, des Turcs, possèdent le document biblique depuis des centaines d’années, écrit par Jean de Patmos dans un idiome indéchiffrable. Incapable de le décoder ou de former quelqu’un pour apprendre ce langage ancien, ils doivent s’en remettre à un maître linguiste tout droit sorti de Harvard. Le sauveur américain. Thomas Lourds! Nombriliste à souhait. Ethnocentrique, dites-vous?

Conspiration, rapt, coups de feu, poursuite, opération secrète. Tous les ingrédients sont présents mais ça goûte le médiocre! La faute incombe au départ à ce personnage invraisemblable du professeur Thomas Lourds, un linguiste en pleine crise de la quarantaine, un vieux beau qui croit bien pouvoir encore séduire toutes les nubiles qui passent sous ses yeux. Sexiste, misogyne et imbu de lui-même. Une laborieux mélange de James Bond et Indiana Jones, sans recul, sans subtilité ni clin d’œil.

Et il y a aussi ce placement de produit insensé et honteux auquel l’auteur se prête à tout propos, nous rappelant les aventures précédentes de Thomas Lourds. Une fois peut toujours aller, mais ce renvoi constant est irritant à l’extrême.

Quand je pense qu’un excellent auteur de suspenses comme l’anglais Tom Bale (Coupés du monde, 2011) a perdu son éditeur français et se trouve sans contrat et que d’un autre côté, je lis de pareilles insignifiances…

Lawrence Block, Le Pouce de l’assassin, Calmann-Levy, 9 avril 2012. Traduit par Vincent Delezoide (Hit List 2000).
Charles Brokaw, Lucifer Code, Calmann-Levy, 9 mars 2012. Traduit par Marie Boudewyn (Lucifer Code, 2010).

mardi 1 mai 2012

Le Dévouement du suspect X, Attention! Chef d’œuvre…

http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-marois/le-devouement-du-suspect-x_b_1457579.html?ref=tw
Publié le 2012/05/01

Les polars du japonais Keigo Higashino sont une réjouissance de tous les instants!


Troisième titre en français pour l’auteur nippon, Le Dévouement du suspect X est le second chez le toujours aussi pertinent éditeur Actes sud et sa désormais célèbre collection actes noirs (d’où est notamment issue la trilogie Millénium de Stieg Larsson).

Le roman précédent de l'auteur, La Maison où je suis mort autrefois, ne m’avait pas seulement emballé, il m’avait littéralement jeté par terre. J’attendais donc avec fébrilité la traduction et la parution du polar suivant de cet auteur hors-norme qu'est Keigo Higashino. L’attente crée parfois de fausses perceptions, alors j’ai laissé murir le texte avant de vous le livrer.

Au départ, il s’agit d’un polar qui a toutes les apparences du traditionnel roman de procédures. Une banale scène de crime conjugale. Yasuko Hanaoka et sa fille Misato reçoivent la visite de Shinji Togashi, ex-mari de Yasuko qui la harcèle depuis longtemps. Ce soir-là, il dépasse les bornes et Misato, jeune adolescente, le frappe avec un vase en cuivre. L’homme transpose sa colère sur l’enfant, mais Yasuko, à la défense de sa fille, étrangle son ex-mari avec le cordon d’une chaufferette. Yasuko ne croit pas que la légitime défense sera retenue. C’est alors que son voisin, le vieux professeur de mathématique Ishigami vient offrir son aide. Il a tout entendu et est légèrement amoureux de la dame par ailleurs trop jeune pour lui. Il lui offre de camoufler le meurtre de manière à ce qu’elle ne soit jamais inquiétée.

Il m’est impossible de vous en dire plus sans dévoiler quelques pistes que ce soit. Le plus important à savoir reste que le thème principal du récit est, comme le titre l’indique, le dévouement ce qui à notre ère d’autosatisfaction et de nombrilisme, détonne et rafraîchit.

Les personnages de l’auteur japonais sont d’une justesse touchante. Nous sommes ici bien loin des traits caricaturaux et personnages passe-partout. L’auteur leur accorde une vie, un souffle, une présence, soignant les traits psychologiques d’un doigté maniaque!

L’ensemble du récit ne consiste pas à trouver le coupable, on le connait d’emblée, mais comment les autorités parviendront à remonter jusqu’à l’assassin au travers les fausses pistes, les apparences et faux-semblants. Travaillé comme une véritable partie d’échec littéraire, il y a un véritable suspense à assister à cette joute intellectuelle. Travaillé comme une véritable partie d’échec littéraire, il y a un véritable suspense à assister à cette joute intellectuelle. C’est lumineux, admirable et d’une efficacité redoutable.  

Une fois de plus, Keigo Higashino parvient à faire ressurgir le meilleur en chaque lecteur. À travers les circonvolutions de l’enquête, l’appel au sens cognitif du lecteur est fortement sollicité : Intelligence, appréhension, contextualisation… C’est Agatha Christie à la puissance mille!

Si un jour on élabore une liste des meilleurs polars de cette décennie et qu’aucun Higashino n’y figure, doutez!

Keigo Higashino, Le Dévouement du suspect X, Éditions Actes Sud, Collection actes noirs, janvier 2012. Traduit par Sophie Refle (Yogisha X no Kenshin, 2005). 316 pages.

mardi 17 avril 2012


Griffintown de Marie Hélène Poitras

http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-marois/griffintown-de-marie-helene-poitras_b_1425918.html
Posté le 2012/04/17


Griffintown raconte avec brio la dernière saison d’une écurie de Montréal, ses pittoresques cochers et les chevaux.


Comme si le temps n’avait pas d’emprise sur le territoire, Billy s’apprête à rouvrir l’écurie. Le printemps s’installe et il s’active afin d’accueillir les chevaux, les cochers et les stagiaires. Le premier malheur de la nouvelle saison s’abat alors sur le Far Ouest. Le propriétaire de l’écurie, Paul Despatie, disparaît. Il est retrouvé dans le ruisseau nauséabond, tué de deux coups de pistolet. Billy reprend aussitôt les rênes car le service de calèche doit survivre. Les clients de l’église Notre-Dame, les mariages, le Vieux-Port. La calèche revient avec le printemps, peu importe les pépins. Incapable de faire avancer l’enquête, Billy lance un appel silencieux à celle que tous appelle La Mère, maman despatie. Rapidement elle remonte la piste froide jusqu’au meurtrier de son fils, le provoque en duel et le tue. Le shylock est mort, mais son décès marque rapidement une forte accélération du processus de détérioration. L’écurie n’y survivra pas.



L’écriture est douce et chantante pour atténuer  l’univers pittoresque, pauvre et anachronique de ce monde biscornu. Les descriptions sont exemptes de toute complaisance envers ces cochers venus tout droit des milieux les plus déshérités. La narration au présent ancre dans le ici et maintenant un territoire à l’écart de toute modernité.



L’utilité du cheval et de la calèche en ville a depuis longtemps cédé sa place pour devenir plus décoratif même que touristique.



La romancière s’attarde avec tendresse sur ce monde vétuste avec ses vrais chevaux fatigués, aussi las que les cochers sont suspects dans leur attirail western, qui se prennent pour des cowboys, mais sont aussi des mendiants, des voleurs et des mécréants. Ils ne sont plus que les accessoires d’un décor révolu, acteurs malgré eux d’une résistance passive à l’envahisseur, les vautours, promoteurs du Griffintown 2.0 qui veulent, et vont, s’emparer du territoire pour construire des immeubles à condos, attirer une nouvelle clientèle et faire revivre le secteur.



Griffintown est ainsi une manière de western urbain beaucoup plus proche d'un drame que d'un polar. Il y a mort d'homme, enquête et résolution mais tout cela se fait à la manière Far Ouest. L'enquête et la punition viennent de l'interne, les lois du milieu. Le corps reste longtemps caché dans une glacière et personne ne vient le réclamer tant ce monde est abandonné, a quasi cessé d'être, n'intéresse plus personne.



Le Far Ouest des cochers, des chevaux et de l’écurie est passé par toute les phases, allant de l’utilitaire jusqu’au vaudeville. Griffintown raconte ainsi les derniers jours de ce qui autrefois était une représentation majeure du tourisme montréalais; les tours de calèche. Le tour de force du roman est de parvenir à évoquer cet univers obsolète et misérable et à le faire monter en puissance, le rendant sympathique et vivant. Il y a quelque chose d’un grand écrivain chez Marie Hélène Poitras.





Marie Hélène Poitras, Griffintown, Éditions Alto, 11 avril 2012. 210 pages.

jeudi 29 mars 2012


Roger Jon Ellory, Les Anges de New York

Par Daniel Marois


 Posté le 29 mars

Plongée dans le monde imbibé de l’inspecteur éponge…





Les Anges de New York, Sonatine, est possiblement l’un des polars les plus attendus cette année. RJ Ellory est un auteur renommé et toutes ses œuvres sont encensées. Qu’ai-je donc à ajouter aux concerts d’éloges qui accompagnent la sortie de ce nouveau titre? Un petit bémol, peut-être un couac dans la mare aux canards.

L’inspecteur new-yorkais Frank Parrish est forcé par sa hiérarchie à subir une psychothérapie avec la psychologue maison s’il veut poursuivre sa carrière dans la police. Les démons qui le hantent sont nombreux. Son existence au complet va de travers. Il est divorcé et sa relation avec son ex-épouse est pour le moins acrimonieuse. Ses deux enfants, jeunes adultes, entretiennent avec lui des relations sporadiques et frustrantes. Son coéquipier est mort en service. Il fait l’objet d’une enquête interne.

Pour couronner le tout, il doit vivre avec le fantôme de son défunt père, une légende de la célèbre brigade d’élite du NYPD surnommée Les anges de New York, laquelle a débarrassée la mégapole de l’emprise de la pègre. Mais Parrish est persuadé que ce père abhorré était un pourri et qu’il mangeait à la même gamelle que les malfaiteurs.

Alors Frank Parrish boit. Il noie ses souvenirs tous les soirs, deux bouteilles de whisky…

Mais oui, il y a aussi une véritable enquête, sinon je n’aurais jamais tenu le coup devant tant d’inepties.

Des gamines sont tuées et l’inspecteur Frank Parrish discerne un leitmotiv d’âge et d’apparence physique chez les victimes. Il découvre surtout que les fillettes sont toutes des cas d’enfants abandonnés par leur famille et pris en main par le service de l’aide familiale. Il soupçonne un employé d’avoir commis les crimes ou d’avoir vendus les adolescentes à un groupe de sadiques pratiquant le « snuff movie ». Pornographie, viol et meurtre, le tout filmé puis vendu clandestinement.

Il s’agit bien évidemment d’un classique roman policier d’investigation. Une intrigue extrêmement bien menée qui rappelle la manière John Harvey. Malheureusement, pour moi, la  partie enquête est enrobée dans le reste, ensevelie dans les balourdises et la lecture s’en trouve alourdie.

Ces inspecteurs alcooliques qui font la leçon, on en a assez lu, non? Avec les quantités ingurgitées, jamais un humain ne tiendrait debout pour se relever le lendemain presque frais et mener une enquête qui demande à avoir les idées claires. Il faudrait que l’auteur s’arrête un instant pour se demander une bonne fois pour toutes jusqu’où son personnage peut boire sans perdre toute crédibilité. Il me semble qu’une couple de whiskys suffisent pour endormir cette « douleur » et que deux bouteilles par jour… Un peu comme au cinéma, au théâtre, un personnage qui lâche quelques jurons est un sacreur impénitent. Un personnage qui jure à toutes les phrases est un emmerdeur. On y perd et les intentions et la caractéristique. Figure centrale du récit, John Parrish, malgré ses malheurs, est un personnage peu crédible. Parvenir à résoudre cette série de crimes au travers le coma éthylique qui le guette, est une action herculéenne. Ce n’est plus John Parrish, c’est Hercule Poivrot!

J’avais abandonné Vendetta, son polar précédent, en raison du mortel ennui qui m’assaillait. Je me suis rendu jusqu’au bout des Anges de New York. C’était le moment de la dernière chance. Fiche perdante donc pour cet auteur vedette du polar contemporain.

Bonne année quand même, Roger!


Roger Jon Ellory, Les Anges de New York, Éditions Sonatine, mars 2012 traduit par Fabrice Pointeau (Saints of New York, 2010). 551 pages.