jeudi 29 mars 2012


Roger Jon Ellory, Les Anges de New York

Par Daniel Marois


 Posté le 29 mars

Plongée dans le monde imbibé de l’inspecteur éponge…





Les Anges de New York, Sonatine, est possiblement l’un des polars les plus attendus cette année. RJ Ellory est un auteur renommé et toutes ses œuvres sont encensées. Qu’ai-je donc à ajouter aux concerts d’éloges qui accompagnent la sortie de ce nouveau titre? Un petit bémol, peut-être un couac dans la mare aux canards.

L’inspecteur new-yorkais Frank Parrish est forcé par sa hiérarchie à subir une psychothérapie avec la psychologue maison s’il veut poursuivre sa carrière dans la police. Les démons qui le hantent sont nombreux. Son existence au complet va de travers. Il est divorcé et sa relation avec son ex-épouse est pour le moins acrimonieuse. Ses deux enfants, jeunes adultes, entretiennent avec lui des relations sporadiques et frustrantes. Son coéquipier est mort en service. Il fait l’objet d’une enquête interne.

Pour couronner le tout, il doit vivre avec le fantôme de son défunt père, une légende de la célèbre brigade d’élite du NYPD surnommée Les anges de New York, laquelle a débarrassée la mégapole de l’emprise de la pègre. Mais Parrish est persuadé que ce père abhorré était un pourri et qu’il mangeait à la même gamelle que les malfaiteurs.

Alors Frank Parrish boit. Il noie ses souvenirs tous les soirs, deux bouteilles de whisky…

Mais oui, il y a aussi une véritable enquête, sinon je n’aurais jamais tenu le coup devant tant d’inepties.

Des gamines sont tuées et l’inspecteur Frank Parrish discerne un leitmotiv d’âge et d’apparence physique chez les victimes. Il découvre surtout que les fillettes sont toutes des cas d’enfants abandonnés par leur famille et pris en main par le service de l’aide familiale. Il soupçonne un employé d’avoir commis les crimes ou d’avoir vendus les adolescentes à un groupe de sadiques pratiquant le « snuff movie ». Pornographie, viol et meurtre, le tout filmé puis vendu clandestinement.

Il s’agit bien évidemment d’un classique roman policier d’investigation. Une intrigue extrêmement bien menée qui rappelle la manière John Harvey. Malheureusement, pour moi, la  partie enquête est enrobée dans le reste, ensevelie dans les balourdises et la lecture s’en trouve alourdie.

Ces inspecteurs alcooliques qui font la leçon, on en a assez lu, non? Avec les quantités ingurgitées, jamais un humain ne tiendrait debout pour se relever le lendemain presque frais et mener une enquête qui demande à avoir les idées claires. Il faudrait que l’auteur s’arrête un instant pour se demander une bonne fois pour toutes jusqu’où son personnage peut boire sans perdre toute crédibilité. Il me semble qu’une couple de whiskys suffisent pour endormir cette « douleur » et que deux bouteilles par jour… Un peu comme au cinéma, au théâtre, un personnage qui lâche quelques jurons est un sacreur impénitent. Un personnage qui jure à toutes les phrases est un emmerdeur. On y perd et les intentions et la caractéristique. Figure centrale du récit, John Parrish, malgré ses malheurs, est un personnage peu crédible. Parvenir à résoudre cette série de crimes au travers le coma éthylique qui le guette, est une action herculéenne. Ce n’est plus John Parrish, c’est Hercule Poivrot!

J’avais abandonné Vendetta, son polar précédent, en raison du mortel ennui qui m’assaillait. Je me suis rendu jusqu’au bout des Anges de New York. C’était le moment de la dernière chance. Fiche perdante donc pour cet auteur vedette du polar contemporain.

Bonne année quand même, Roger!


Roger Jon Ellory, Les Anges de New York, Éditions Sonatine, mars 2012 traduit par Fabrice Pointeau (Saints of New York, 2010). 551 pages.

jeudi 8 mars 2012


Polar au féminin, Black Blocs!
Par Daniel Marois


Cette semaine, par hasard (!), il sera question de polars écrit par une femme. Une rareté, croyez-vous? Une gâterie? Un caprice, peut-être? Elsa Marpeau n’a rien d’un bonbon, croyez-moi, ou alors un bonbon noir qui explose en bouche!



Si l’on remonte le temps, jusqu’aux origines des romans de genre (au sens large, allant des romans d’aventures, façon Walter Scott, à Alexandre Dumas père) en passant par la création du fantastique (qui donne naissance au roman noir (le gothique)). Un nom surgit et ce n’est pas celui d’un mâle. Mary Shelley et son Frankenstein (1818). Elle est anglaise, comme le sera Agatha Christie. Dès le début on trouve des femmes à la plume bien acérée!

Maintenant, vous n’avez pas à chercher longtemps dans les méandres de vos mémoires pour faire ressurgir des auteures. De Patricia Highsmith à Mary Higgins Clark. De la reine actuelle, Val McDermid à ses prétendantes, Laura Wilson et Louise Welsh. De Patricia Cornwell à sa version américano-québécoise Kathy Reich. Martha Grimes, lauréate 2012 du prix Grand Master, Minette Walter, etc. Leur littérature policière présente les protagonistes dans un univers décloisonné permettant une plus grande place à la vie familiale et amoureuse.

Black Blocs

Mais s’il y a beaucoup d’auteures qui s’adonnent au polar, force est d’admettre qu’elles se cantonnent majoritairement au roman d’enquête et au suspense. C’est ici que nous revenons à la chronique régulière, car notre sujet du jour, vous l’aurez déduit est une femme, une auteure française qui ne fait pas dans la dentelle! Elle s’empare du roman noir et le secoue avec une stylistique, une prose, un souffle qui surprend le plus aguerri des lecteurs.

Elsa Marpeau revient à la Série noire avec Black Blocs aux Éditions Gallimard. Son premier titre, Les Yeux des morts, s’est mérité en 2011 le prix Nouvel Obs-Bibliobs du roman noir. Grande amatrice des auteurs David Peace, Marin Ledun et Antonin Varenne (lire un entretien ici), son troisième polar est déjà prêt.

Black Blocs raconte les péripéties de Swann Ladoux, une technicienne en laboratoire de l’université de Jussieu à Paris. Déambulant à travers une manifestation, elle retourne à son logis dans lequel elle découvre son conjoint assassiné d’une balle dans le dos. Swann ne réagit pas comme on pourrait s’y attendre. Au contraire, elle lorgne le cadavre et la mare de sang, touche son conjoint et glisse même un doigt dans la plaie puis s’étend contre lui jusqu’au lendemain matin ou elle alertera les autorités. Cette réaction curieuse vient ancrer l’impression persistante d’un grand amour pour feu le professeur Samuel Bordat.

La scène de crime est examinée par des policiers lorsque se présente le commandant Legal et le capitaine Bouveresse, des agents spéciaux appartenant à la direction centrale du renseignement intérieur. Qu’est-ce que Samuel peut bien avoir à faire avec un service anti-terroriste? L’univers de Swann déjà bousculé par la mort violente se déchire un peu plus. Elle découvre tout un pan jusqu’ici inconnu de la vie de son conjoint. Il n’était pas que professeur à Jussieu, il était aussi informateur pour les affaires anti-terroriste (SDAT). Elle apprend que Samuel possédait une maison à Montreuil, laquelle est occupée par des révolutionnaires anarchistes qui ne rêvent qu’à faire exploser des bombes et nuire aux grands capitalistes. Samuel était le leader et le plus violent d’entre eux.

La double vie de son conjoint fascine Swann. Mais sous des allures placides, elle bouillonne de rage et  suit chaque piste tentant de découvrir le meurtrier afin de le tuer.

Black Blocs s’inscrit tout naturellement dans la série noire en présentant une vue interne d’un groupuscule de l’ultragauche. Au départ, Swann Ledoux est une petite bourgeoise comme les autres, elle en vient à se cristalliser aux contacts du groupe de manifestants. Sa vie bien tracée jusqu’alors bascule dans une violence revendicatrice qui lui plaît.

L’écriture d’Elsa Marpeau est précise et emprunte souvent des accents poétiques pour accentuer les éléments sombres et lugubres du récit. La description de la manifestation contre l’OTAN est une pièce d’anthologie à elle seule. Un sujet déroutant traité avec un savoir-faire qui laisse espérer d’autres polars aussi tonitruants. Elsa Marpeau est une auteure à surveiller de près.



Elsa Marpeau, Black Blocs, éditions Gallimard Série Noire, 7 mars 2012, 323 pages.

vendredi 2 mars 2012


Au cœur de l’invraisemblable, Storyteller de James Siegel

Par Daniel Marois

https://twitter.com/#!/danimarois


Polar paranoïaque, Storyteller, de James Siegel, est une variation sur le thème éculé de l’arroseur arrosé!





 Le polar américain se cherche. Il y a bien quelques éclaircies ici et là, mais pas de tendances palpables. Comme si tous les écrivains avaient perdu la main en même temps. En même temps que leur économie, leur maison, le sens commun, le sens tout court? Les USA ne sont plus ce qu’ils étaient!


James Siegel est un Américain de 57 ans issu du milieu publicitaire. Storyteller est son quatrième titre traduit en français. Il s’agit d’un suspense à la sauce paranoïaque, un roman du grand complot. En tout cela, rien de mal. Voyez plutôt.


Autrefois célèbre et envié, reporter vedette pour un grand quotidien national, Tom Valle se fait coincer dans un scandale. D'abord, des irrégularités sont mises à jours: incohérences, faits mal rapportés, afin de rendre la nouvelle plus spectaculaire, plus émouvante. Puis une enquête plus poussée révèle que 56 reportages s’avèrent des faux.


Le journaliste souffre de mythomanie chronique et ne peut s’arrêter d’inventer des histoires de plus en plus invraisemblables. Sa carrière est brisée et il ne trouve qu’un seul employeur, un petit journal local de Littleton en Californie dont les reportages les plus excitants sont des accidents de voitures ou l’ouverture d’un centre commercial.


Jusqu’ici tout va bien. Le personnage est ancré dans le décor et le lecteur ne peut que jubiler en parcourant les malheurs et la honte qui s’abattent sur l’homme.


Mais Tom Valle s’ennuie dans ses fonctions. Alors qu’il couvre les festivités autour d’une centenaire, il est envoyé sur les lieux d’une collision dans laquelle un conducteur est décédé. Le choc a été terrible et le véhicule a pris feu. La dépouille est calcinée. On trouve malgré tout un portefeuille qui permet d’identifier la victime, un homme blanc. Le médecin qui agit à titre de coroner identifie plutôt le cadavre comme celui d’un homme noir.


Tom Valle voit l’occasion de réhabiliter sa réputation en y allant d’un reportage de son cru afin de délier les fils de cette histoire abracadabrante. Il tombe ainsi dans un engrenage monstrueux qui va l’emmener aux quatre coins des USA, lui faisant à maintes reprises risquer sa vie. Déterminé comme jamais, le journaliste va parvenir à déterrer un complot ourdi par les plus hautes instances du gouvernement et à déjouer toutes les tentatives pour le faire taire.


Storyteller raconté en version courte peut vous paraître alléchant. Malheureusement, sur la durée, il ne tient pas la route. Il est difficile de croire qu’un gouvernement dresse une conjuration de cette ampleur juste pour écarter du chemin de la vérité ce journaliste sans envergure possédant zéro crédibilité.


De plus, un thriller qui se respecte doit aligner son rythme afin de créer un effet de suspense. Rien de tel ici alors que tous les éléments de l’intrigue tombent à plat.


Ce journaliste qui a le temps de publier 56 faux avant d’être découvert? Absurde.
Cet assassin maladroit qui tente à plusieurs reprises de tuer Tom Valle sans jamais y parvenir? Complaisant. Le récit est truffé d'événements grotesques et invraisemblables du genre.


Je suis peut-être trop rigide, mais je n’accepte pas de me faire mener en bateau. C’est une question d’univers. Créer de toute pièce un monde d’anticipation, de science-fiction, de fantastique, est une chose. Fabriquer de l’invraisemblable avec la réalité passée en est une autre. Il y a un malaise à découvrir que  l’intrigue est tirée par les cheveux.


Outre les raccourcis que l'auteur prend avec les faits, le personnage de Tom Valle est antipathique et toutes ses tentatives de réhabilitation laissent froides.


Storyteller est peut-être un succès de marketing, mais la petite histoire du polar n’en retiendra qu’un suspense journalistique mal ficelé.


James Siegel, Storyteller, Éditions Cherche-Midi, 9 janvier 2012 traduit par Simon Baril (Storyteller 2006). 462 pages.

Top 10 polars Été 2011



Daniel Marois collaboration Christophe Court
http://fr.aol.ca/tag/polars/401/
Posté le 2/8/11



Voici le top 10 des polars qui vous tiendront en haleine, beau temps et mauvais temps. Choisissez un de ces meilleurs romans policiers pour vous délecter d'histoires de mafia, de violence, de meurtre… Bon Été !



1. La maison où je suis mort autrefois de Keigo Higashino (Japon, 2010)


Malgré tout le courant scandinave, c'est un roman japonais qui coiffe cette liste. S'il y avait un prix d'excellence couronnant une décennie de polar, celui-ci serait finaliste. (DM)



2. Zulu de Caryl Férey (France, 2008)


Regard cauchemardesque sur l'Afrique du Sud: drogues, sida, racisme, violences. L'apartheid est terminé; les inégalités demeurent. Une vision apocalyptique que doit affronter Ali Neuman, policier noir du Cap, pour retrouver l'assassin d'une jeune blanche. (CC)





3. Vendetta de R.J. Ellory (États-Unis, 2009)


À travers le témoignage d'un présumé assassin et kidnappeur, l'auteur relate l'histoire de la mafia américaine. Ernesto Perez, personnage central, dégoûte autant qu'il fascine. Amorale, crue, brutale, la vengeance est au cœur de l'histoire. (CC)



4. L'écho des morts de Johan Theorin (Suède, 2010)

Un roman qui se lit comme un voyage éclair sur le bord de la mer baltique. L'histoire, fantastique en apparence, se transforme en thriller ou toute les pistes convergent dans une finale ficelée comme un saucisson. (DM)



5. Dôme de Stephen King (États-Unis, 2011)


Imaginez une petite ville du Maine enfermée sous un dôme où s'affrontent le bien et le mal. Dès les premières pages, le lecteur a l'impression d'être familier avec les personnages, de faire partie intégrante du roman. Difficile d'en sortir! (CC)



6. L'hypnotiseur de Lars Kepler (Suède, 2010)

Drame familial d'une rare violence: une famille massacrée, un hypnotiseur au passé trouble, le rapt d'un enfant hémophile... Un roman captivant. Une course effrénée dans un labyrinthe urbain. (DM)



7. La nuit la plus longue de James Lee Burke (États-Unis, 2011)


La civilisation telle qu'on la connaît ne tient pas à grand-chose. L'enquête que mène Dave Robichaux pour trouver les coupables du meurtre de deux jeunes noirs sert d'excuse pour décrire le monde apocalyptique que l'ouragan Katrina a amené avec lui. Aucune règle ne tient. C'est la loi du plus fort! (CC)



8. La guerre des vanités de Marin Ledun (France, 2010)


Premier roman dans la série noire, première réussite. Une petite ville de province. Des ados qui se suicident. Une enquête classique menée par un lieutenant cancéreux. Pédophilie, hasard, essai clinique. Que cachent donc les habitants hormis leur ennui? DM)



9. Enfant 44 de Tom Rob Smith (Grande-Bretagne, 2009)


Un policier soviétique essaie de trouver un tueur en série sous le règne de Staline. On nous dépeint une société noire où la méfiance, la délation et le doute règnent en maître. Il n'y a rien de joyeux dans cette société minée par les persécutions de la police secrète «stalinienne». La différence entre un criminel et l'autorité est très mince. Ce roman est un beau résumé de la société soviétique dans ses jours les plus torturés et absurdes. (CC)





10. Le Tailleur de pierre de Camilla Lackberg (Suède, 2009)


Troisième volet des aventures d'Erica Falck, ce roman se distingue par une enquête solide dans un milieu sordide. Une atmosphère oppressante du début à la fin. Bouillonnant! (DM)