lundi 26 novembre 2012


Polars : Du Québec à l’Australie

  Publié le 25 novembre 2012

Avec De Pierres et de sang, André Jacques livre un polar exceptionnel. Un vol de diamants tourne à la catastrophe aux confins du Canada. Les services secrets français se jettent dans la mêlée avec ceux de la Russie. La GRC tente de démêler le crime. De Yellowknife à Montréal, de Paris à Anvers, l’antiquaire et ex-major de l’armée canadienne Alexandre Jobin suit la piste parsemée de cadavres.

 

 
 
L’ex-soldate Julie Dorval travaille à la sécurité pour une mine de diamants à Yellowknife. Complice des manœuvres frauduleuses des directeurs de l’entreprise, dont le sanguinaire Russe Serguei Belochnikov, elle s’allie à l’Inuit Peter Ugiuk pour voler des pierres. Il veut rendre à sa communauté un énorme diamant dérobé alors qu’elle est plutôt motivée par l’appât du gain. Le braquage tourne mal. Blessée, Julie parvient à rejoindre Montréal où elle reçoit l’aide d’Alexandre Jobin qui va la suivre comme son ombre. Après quelques sanglants épisodes, elle se rend à Anvers pour refiler en contrebande les précieuses pierres. Julie est poursuivie par les Russes, les Français, La GRC, le SPVM, les patrons de la mine et son employeur. Le récit devient alors une hécatombe où les manigances des personnages font place à un sauve-qui-peut lorsque l’agent russe exécute la technique de la terre brûlée (fuir sans rien laisser en vie derrière).

 

 

Le quatrième polar d’André Jacques est un parfait thriller d’aventure. Lorsque Julie dérobe les pierres, elle est loin de se douter dans quel engrenage elle s’embarque. Elle parvient à démonter le système de collusion qui permet à une petite minière productrice de diamants de faire le blanchiment des diamants de sang. Le rythme est effréné et le suspense maintenu de bout en bout avec un savoir-faire total. L’auteur affiche une telle maîtrise de son sujet qu’il parvient sans peine à déjouer les prévisions des plus habiles lecteurs. Les retournements de situations sont adroits et imaginatifs.

 

Récit tout en action, De Pierres et de sang étonne et divertit. Véritable « page-turner » le roman mérite l’attention immédiate de tout amateur de littérature policière. Il s’agit de l’un des meilleurs polars à jamais avoir été écrits au Québec.

 

 

En Australie aussi il s’écrit du polar. Darren Williams, Conséquences

 

 
 
Petit village tranquille, Angel Rock est secoué par deux drames. Les frères Ferry se perdent dans le bush australien qui cerne le village. Tom, l’ainé, en reviendra, seul, quelques jours plus tard, incapable de se rappeler ce qui a bien pu arriver à son frère.  Au même moment, Darcy est retrouvée morte à Sidney, un suicide apparent. L’agent Gibson mène l’enquête qui l’amène au domicile de la jeune fille, à Angel Rock. Y a-t-il un lien entre ces deux événements?

 

Conséquences interroge cette vie recluse de petits villages, les haines entre les vieilles familles, les relations tortueuses, les dettes et les jalousies qui déterminent les liens entre les villageois de génération en génération. Il y a quelque chose d’immensément oppressant dans ce polar à tout le moins exotique.

 

L’intrigue se déploie lentement ce qui contribue à l’atmosphère générale du polar qui est étouffante, torride et angoissante. Comme s’il se déroulait dans une étuveuse. Les personnages sont campés avec une virtuosité telle qu’on ressent l’impression de les avoir déjà rencontrés. Gibson, inspecteur tenace et fragile. Pop, le policier local, un grand sage qui veille sur son village et ses habitants. Les villageois qui contribuent à l’ambiance glauque, inquiétante; parfois malsaine souvent fraternelle. Les descriptions des paysages arides de ce bush, ces eucalyptus, ces oiseaux indigènes font de Conséquences une lecture dépaysante fort agréable.

 

Une petite lacune dans la trame narrative; L’utilisation du coup de théâtre. Un personnage oublié, seulement entrevu, surgit en fin d’énigme et vient dénouer toute l’intrigue. La finale du roman devient prévisible et décevante. Le talent de l’auteur est pourtant indéniable et lui, comme nous, méritions mieux.

 

 

André Jacques, De Pierres et de sang, Éditions Druide / Reliefs, septembre 2012. 463 pages.

 

Darren Williams, Conséquences, Éditions Sonatine, octobre 2012. Traduction Fabrice Pointeau (Angel Rock, 2002). 392 pages.

dimanche 4 novembre 2012


Polars  à l’américaine

 
Lyndsay Faye et Elmore Leonard : la jeune romancière et le vieux routier.

 
http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-marois/polars-americains_b_2063697.html?utm_hp_ref=divertissement

publié le 2 Novembre 2012

Dans une forêt en périphérie de New York, un charnier est découvert. Dix-neuf enfants sont trouvés dans un état de putréfaction avancé. Les plus vieux corps y sont depuis 5 ans. On découvre qu’il s’agit de jeunes irlandais de moins de treize ans, orphelins et prostitués. Tous les cadavres sont profanés et des organes ont été prélevés.

 


Le premier roman de l’Américaine Lyndsay Faye, Le Dieu de New York, raconte ce qui de prime abord apparaît comme un (autre) polar sur un tueur en série mais se révèle par la suite toute autre chose. Un véritable délire religieux mêlé à un racisme quotidien.

 

Nous sommes à New York, la mégapole en devenir avec son demi-million de résidants. Il fait chaud, car c’est l’été. Bientôt, cependant, il fera encore plus chaud. L’incendie destructeur de 1845 va ravager les vieux bâtiments en bois. Tim Wilde travaille dans un bar à huîtres lorsque le feu se déclare. Il abandonne tout dans l’espoir de gagner son domicile pour sauver des flammes sa fortune économisée dans le but d’épouser Mercy Underhill. Mais le sort va s’acharner sur lui. Pris au cœur de l’incendie, il est blessé et défiguré. Son frère Val, pompier volontaire, le sauve.

 

Tim n’a plus de logis, est sans emploi et ruiné. Bien malgré lui, il accepte alors de faire partie des forces de l’ordre nouvellement créées. Lors d’une patrouille, il trouve une fillette en fuite, couverte de sang. C’est le début d’une aventure horrifiante. Il découvre une fosse commune dans laquelle repose des enfants et, remontant la piste, dévoile toute une facette horrifiante de la société new-yorkaise, le racisme envers les nouveaux arrivants, principalement des Irlandais de confession catholique. Chaque chapitre est d’ailleurs précédé d’une citation d’époque attisant la haine des papistes irlandais.

 
Polar d’envergure parce qu’il ne se limite pas à construire une scène de crime puis à faire évoluer les personnages au gré de l’enquête. Lyndsay Faye utilise avec bonheur des moments historiques de la ville de New York. L’incendie, mais surtout les cargaisons d’immigrants Irlandais qui débarquent à pleins quais; malades, pauvres, affamés. Ces « voleurs de jobs » chassés de leur pays par la maladie de la patate qui apportent leur foi catholique (papiste) au pays du protestantisme. Les natifs déclenchent presque une guerre civile contre les nouveaux arrivants et lorsqu’ils apprennent par les journaux la présence d’un charnier, qu’on découvre le cadavre d’un autre garçonnet dans une poubelle, puis l’assassinat d’un enfant dans une église papiste, la violence s’exacerbe davantage. Un fou veut tuer tous les Irlandais avant qu’ils ne contaminent la ville.

 
Pour les amants de New York d’abord. Pour les amateurs de bons polars, ensuite. Le Dieu de New York est un régal.

 

 

La Simplicité volontaire selon Elmore Leonard

 

Auteur tout aussi légendaire que prolifique, Elmore Leonard poursuit, avec le recueil Connivence avec l’ennemi, une œuvre exemplaire qui explore et témoigne des turpitudes de l’Américain moyen.

 

D’abord publié dans le New York Times sous forme de feuilleton, le polar est introduit avec deux nouvelles racontant les débuts du policier Carl Webster. Troisième volet de la série de romans consacrés au marshal après Le Kid de l’Oklahoma et Hitler’s Day. Connivence avec l’ennemi semble, avant tout, une anecdote allongée.

 

Oklahoma accueille un camp de prisonniers de guerre Allemands. Nous sommes en 1944. Le prisonnier Jürgen Shrenk soudoie un gardien et s’échappe régulièrement avant de revenir au camp. Carl Webster le soupçonne de retrouver Shemane, une beauté locale aux mœurs plutôt libres. Or, la loi interdit ce type de rapport avec l’ennemi. Elmore Leonard, à sa manière habituelle, va ajouter au récit quelques éléments perturbateurs tels un gangster juif, l’épouse de Webster, Louly, instructrice chez les marines, quelques truands patauds, des femmes fortes et fatales, Gary, le jeune marshal, qui voudrait avoir la gâchette aussi facile que Webster… Le tout servi avec des dialogues savoureux…

 

Connivence avec l’ennemi n’est certes pas un titre clef pour connaître et apprécier l’œuvre de ce grand auteur. Vite lu, il  ne fera pas partie des romans inoubliables.

 

Elmore Leonard est le Woody Allen du polar noir / western, explorant sans cesse les mêmes pistes, s’enfonçant toujours davantage dans la psyché humaine, parvenant parfois à saisir l’immatériel… et c’est peut-être cela qui donne au texte ce petit côté aérien, léger et grave à la fois.

 

On dirait presque qu’il écrit en apesanteur tant le style est éthéré. Des faits, uniquement des faits. Un savant mélange d’action et de dialogues sans état d’âme, sans description. Pourquoi complexifier quand tout peut être si simple? Mais ne vous y trompez pas, c’est du grand art. Elmore Leonard éblouit ses lecteurs avec cette insoutenable légèreté. Pour arriver à un tel équilibre, parvenir à passionner son auditoire avec si peu de moyens demande des qualités rares.

 

Lyndsay Faye, Le Dieu de New York, Éditions Fleuve Noir, 14 septembre 2012. Traduction Carine Chichereau (The Gods of Gotham, 2012). 503 pages.

 Elmore Leonard, Connivence avec l’ennemi, Éditions Rivages / Thriller, août 2012. Traduction Johanne Le Roy (Comfort to the enemy, 2009). 235 pages.