Au cœur de l’invraisemblable, Storyteller de James
Siegel
Par Daniel Marois
https://twitter.com/#!/danimarois
Polar paranoïaque, Storyteller, de James Siegel, est
une variation sur le thème éculé de l’arroseur arrosé!
Le
polar américain se cherche. Il y a bien quelques éclaircies ici et là, mais pas
de tendances palpables. Comme si tous les écrivains avaient perdu la main en
même temps. En même temps que leur économie, leur maison, le sens commun, le
sens tout court? Les USA ne sont plus ce qu’ils étaient!
James
Siegel est un Américain de 57 ans issu du milieu publicitaire. Storyteller est
son quatrième titre traduit en français. Il s’agit d’un suspense à la sauce
paranoïaque, un roman du grand complot. En tout cela, rien de mal. Voyez
plutôt.
Autrefois
célèbre et envié, reporter vedette pour un grand quotidien national, Tom Valle se
fait coincer dans un scandale. D'abord, des irrégularités sont mises à jours:
incohérences, faits mal rapportés, afin de rendre la nouvelle plus
spectaculaire, plus émouvante. Puis une enquête plus poussée révèle que 56 reportages
s’avèrent des faux.
Le
journaliste souffre de mythomanie chronique et ne peut s’arrêter d’inventer des
histoires de plus en plus invraisemblables. Sa carrière est brisée et il ne
trouve qu’un seul employeur, un petit journal local de Littleton en Californie
dont les reportages les plus excitants sont des accidents de voitures ou
l’ouverture d’un centre commercial.
Jusqu’ici
tout va bien. Le personnage est ancré dans le décor et le lecteur ne peut que
jubiler en parcourant les malheurs et la honte qui s’abattent sur l’homme.
Mais
Tom Valle s’ennuie dans ses fonctions. Alors qu’il couvre les festivités autour
d’une centenaire, il est envoyé sur les lieux d’une collision dans laquelle un
conducteur est décédé. Le choc a été terrible et le véhicule a pris feu. La
dépouille est calcinée. On trouve malgré tout un portefeuille qui permet
d’identifier la victime, un homme blanc. Le médecin qui agit à titre de coroner
identifie plutôt le cadavre comme celui d’un homme noir.
Tom
Valle voit l’occasion de réhabiliter sa réputation en y allant d’un reportage
de son cru afin de délier les fils de cette histoire abracadabrante. Il tombe ainsi
dans un engrenage monstrueux qui va l’emmener aux quatre coins des USA, lui
faisant à maintes reprises risquer sa vie. Déterminé comme jamais, le
journaliste va parvenir à déterrer un complot ourdi par les plus hautes
instances du gouvernement et à déjouer toutes les tentatives pour le faire
taire.
Storyteller
raconté en version courte peut vous paraître alléchant. Malheureusement, sur la
durée, il ne tient pas la route. Il est difficile de croire qu’un gouvernement
dresse une conjuration de cette ampleur juste pour écarter du chemin de la
vérité ce journaliste sans envergure possédant zéro crédibilité.
De
plus, un thriller qui se respecte doit aligner son rythme afin de créer un
effet de suspense. Rien de tel ici alors que tous les éléments de l’intrigue
tombent à plat.
Ce
journaliste qui a le temps de publier 56 faux avant d’être découvert? Absurde.
Cet
assassin maladroit qui tente à plusieurs reprises de tuer Tom Valle sans jamais
y parvenir? Complaisant. Le récit est truffé d'événements grotesques et
invraisemblables du genre.
Je
suis peut-être trop rigide, mais je n’accepte pas de me faire mener en bateau.
C’est une question d’univers. Créer de toute pièce un monde d’anticipation, de
science-fiction, de fantastique, est une chose. Fabriquer de l’invraisemblable avec
la réalité passée en est une autre. Il y a un malaise à découvrir que l’intrigue est tirée par les cheveux.
Outre
les raccourcis que l'auteur prend avec les faits, le personnage de Tom Valle
est antipathique et toutes ses tentatives de réhabilitation laissent froides.
Storyteller
est peut-être un succès de marketing, mais la petite histoire du polar n’en
retiendra qu’un suspense journalistique mal ficelé.
James
Siegel,
Storyteller,
Éditions Cherche-Midi, 9 janvier 2012 traduit par Simon Baril
(
Storyteller 2006). 462 pages.
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